Inés García Zuberbühler
Inés García Zuberbühler
Par Abel Posse
Inés García Zuberbühler est dévorée par sa passion. Elle a étudié la technique et la théorie en Angleterre, à Florence, en Belgique et en Grèce, mais reste cependant viscéralement argentine par son caractère et son ouverture au cosmopolitisme créatif. Son esprit synthétise les contraires apparents. Comme chez le poète Saint-John Perse, le Caraïbe solaire et marin de son enfance épouse le raffinement intellectuel européen.
L´art implique du courage. Dans une société et par des temps aussi décadents que les nôtres, l´artiste s´engage dans l´univers artistique de façon absolue et définitive. Cette décision de ¨prendre le voile¨ exige un vrai talent.
Au-delà des sons, des formes, des phrases ou des couleurs, l’artiste fait le don de son esprit. Il opte pour le suprême en temps difficiles (comme le dit si bien Borges : en réalité toutes les époques sont difficiles à vivre).
Dans la série de fusains des ¨Gomeros¨, ces arbres gigantesques de Buenos Aires, dans lesquels Severo Sarduy a cru voir des dieux que les habitants de la ville ne pouvaient consulter, Inés García Zuberbühler exprime son goût pour la dramaturgie et le tellurisme. Ces végétaux géants - à la fois force et organismes menacés - représentent la vie. Comme le suggère Rilke, leurs racines, profondément enterrées, évoquent des bras ouverts vers le ciel.
La maîtrise du dessin et du clair obscur donne une puissance toute particulière à ces représentations transcendantales. Les fusains d’Inés exaltent le tragique. Ses ¨gomeros¨ me rappellent les racines colossales qui embrassent, sans les dévorer, les temples bouddhistes d´Angkor, au Cambodge. Etrange symbiose de vie et de mort. Triomphe de la nature sur les illusoires entreprises humaines ?
Cet aspect authentique et profond n’empêche pas Inés de nous conduire à une vision solaire où couleurs et matières s’enlacent avec bonheur. L’artiste nous a confié que c´est dans la lumière des îles grecques qu´elle prépare le « gesso » qu´elle va lancer sur le papier dans un mouvement rythmique qui n’est pas sans rappeler celui de la danse. Puis les lois physiques et le hasard feront le reste. Ensuite seulement intervient l´aquarelle, et même l´or qui, à partir de la sensibilité de l´artiste et grâce à la ductilité de l´eau, célèbre la joie et la plénitude des couleurs.
En tant qu´écrivain j´aimerais souligner que, dans son exposition, Inés s´approche de la parole par sa calligraphie. On pense à Platon, Gibran, Rilke, Vieira da Silva. Etrange résolution interdisciplinaire qui, brisant les topographies créatives irréelles, nous invite à une conception totale de l´art comme ultime expression spirituelle de l’humaine condition.